Le phénomène zemidjan et la désertion des métiers artisanaux.
Face à une économie morose et à un chômage persistant, de nombreux artisans désertent leurs ateliers pour enfourcher une moto et devenir conducteurs de taxi-moto. Le phénomène "zem", bien ancré dans le paysage urbain béninois, redessine les contours de la vie professionnelle dans nos villes.
Dans les villes du Bénin, le bruit des marteaux, des scies et des machines à coudre se fait de plus en plus rare dans certains quartiers. Les ateliers d'artisans menuisiers, mécaniciens, couturiers, peintres ou coiffeurs se vident peu à peu, remplacés par le ronronnement des motos utilisées pour le transport urbain. Le taxi-moto, communément appelé zemidjan, attire un nombre croissant de professionnels autrefois engagés dans des métiers manuels.
À l’origine de cette mutation, une conjoncture économique difficile. Le ralentissement des activités, la baisse du pouvoir d’achat des populations et la rareté des clients ont plongé de nombreux artisans dans l’incertitude. Dans ce contexte, le zem apparaît comme une alternative rapide pour générer un revenu quotidien, aussi modeste soit-il. Un simple trajet peut rapporter quelques centaines de francs, souvent jugés plus sûrs et réguliers que les revenus aléatoires issus de l’artisanat.
Ce phénomène n’est pourtant pas nouveau. Né dans les années 1970 avec les vélos, le transport à deux roues s’est rapidement professionnalisé avec l’introduction des motos dans les années 1980. Ce fut une réponse spontanée au chômage galopant, notamment après les crises économiques successives de l'époque. Des bras valides, en quête d’occupation et de revenus, ont ainsi trouvé dans le taxi-moto un refuge économique.
Aujourd’hui, le zemidjan n’est plus seulement un moyen de transport ; il est devenu un véritable pilier de l’économie informelle au Bénin. Il nourrit des milliers de familles, contribue à la mobilité urbaine et joue un rôle social essentiel. Mais son essor fulgurant soulève des interrogations sur l’avenir de certains métiers artisanaux, déjà fragilisés par la modernisation et la concurrence des produits importés.
Ce glissement progressif d’une activité qualifiée vers une autre, plus accessible mais moins structurée, mérite réflexion. Si les contraintes économiques expliquent en partie cette tendance, d’autres facteurs comme le manque de soutien à l’artisanat, l’absence de valorisation de ces métiers, ou encore l’attrait de la liberté et de la flexibilité qu’offre le zem, pèsent lourd dans la balance.
Il est temps pour les politiques publiques de s’interroger : comment redonner à l’artisanat sa place et son attractivité ? Comment encadrer le secteur des taxi-motos pour en faire un levier durable de développement, sans sacrifier les savoir-faire traditionnels ? Le défi est de taille, mais essentiel pour une économie béninoise inclusive et équilibrée.
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