Un vent nouveau souffle sur l’Afrique de l’Ouest. Il porte avec lui des relents de rupture, de défiance, et surtout un discours martelé avec insistance : celui de la souveraineté. Ce mot devenu slogan s’inscrit désormais en lettres capitales dans les discours des régimes militaires au pouvoir dans les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), notamment le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Dans les faits, ces pays semblent avoir tourné le dos à leurs partenaires traditionnels – France, États-Unis et autres puissances occidentales – pour se rapprocher de la Russie, perçue comme un allié plus respectueux, plus pragmatique et surtout moins paternaliste. L’accusation est sévère : les puissances occidentales sont soupçonnées d’avoir longtemps joué un double jeu, privilégiant des partenariats biaisés, entachés d’ingérence et d’un mépris voilé pour la souveraineté des nations africaines.
De la critique à la rupture, le pas a été franchi rapidement. Dès leur arrivée au pouvoir par des coups d’État, les nouveaux maîtres en treillis ont remis en cause plusieurs accords signés de longue date. Défense, coopération économique, présence militaire : tout a été balayé d’un revers de main. Le Niger a ainsi dénoncé ses accords de défense avec la France et les États-Unis, entraînant l’évacuation des bases militaires et l’expulsion des contingents étrangers.
Ces ruptures diplomatiques sont le fruit d’un profond malaise, nourri par une insécurité chronique et une guerre contre le terrorisme que les anciennes alliances n’ont pas permis de gagner. Au contraire, les régimes militaires accusent leurs ex-partenaires d’être, directement ou indirectement, les instigateurs ou les complices de la prolifération des groupes armés. Selon eux, les preuves abondent et pointeraient certaines officines occidentales.
La Russie, quant à elle, a su saisir cette opportunité géostratégique. En envoyant rapidement des instructeurs militaires, des mercenaires du groupe Wagner, puis des équipements et armements sophistiqués, elle s’est positionnée comme un allié "désintéressé", prêt à défendre la souveraineté africaine. À cela s’ajoute une coopération économique qui se précise : des entreprises russes (et chinoises) s’installent dans les pays de l’AES. Exemple frappant, la gestion du pétrole nigérien via un pipeline reliant Agadez à Sèmè, pour un raffinage probable en Chine.
Mais ces nouveaux partenariats ne sont pas sans rappeler des épisodes du passé. Dans les années 70, une vague de coopération avec les régimes marxistes-léninistes avait déjà déferlé sur l’Afrique, promettant libération et prospérité. Ce que l’Afrique en a tiré ? Des slogans creux, des statues idéologiques, et surtout l’importation de modèles autoritaires : musèlement des opposants, confiscation du pouvoir, culte de la personnalité.
Aujourd’hui encore, certains signaux inquiètent. Au Niger comme au Burkina Faso, les militaires ont suspendu la Constitution, dissous les partis politiques et annoncé des périodes de transition pouvant aller jusqu’à cinq ans, renouvelables. Une forme de verrouillage politique qui n’est pas sans rappeler les pratiques des pays dont ils s’inspirent : Russie, Chine, ou d’autres régimes où le silence est roi.
La vraie question demeure : peut-on faire le bonheur d’un peuple sans sa volonté ? Certains répondront que le peuple est associé à ces choix. Mais à y regarder de plus près, il semble souvent mis devant le fait accompli, applaudi à coups de propagande et réduit à un rôle de spectateur docile.
L’Afrique de l’Ouest est à la croisée des chemins. À elle de choisir entre une souveraineté authentique, fondée sur la participation citoyenne et la transparence, et une illusion d’indépendance qui ne serait qu’un transfert de tutelle, d’un impérialisme à un autre.
Youssouf M. AVOCEGAMOU
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