Le secteur de l’artisanat au Bénin traverse une zone de turbulence sans précédent. Mécaniciens, menuisiers, couturiers, peintres ou encore vulcanisateurs désertent progressivement leurs ateliers pour se reconvertir en conducteurs de taxi-motos, communément appelés Zémidjans. Une migration professionnelle massive, révélatrice d’une crise silencieuse qui secoue les fondations de l’économie artisanale.
Un virage obligé pour survivre
Au détour d’un carrefour de Cotonou ou dans les artères sinueuses de Porto-Novo, ils sont désormais des milliers d’artisans à enfourcher leurs motos, jaunes pour la plupart, à la recherche de passagers. Parmi eux, Djidjoho, ancien maître couturier, confie sans amertume : « Le zem nourrit son homme, malgré les tracasseries policières. » Comme lui, de nombreux professionnels de l’artisanat, las de voir leurs ateliers vides de clients, trouvent dans le transport urbain une alternative immédiate, bien que temporaire, pour subvenir aux besoins quotidiens.
La ruée vers le bitume
Ce phénomène s’explique par un faisceau de facteurs économiques et sociaux. L’absence de commandes, le manque de soutien institutionnel, la cherté des matériaux ou encore la concurrence des produits importés, poussent les artisans vers un secteur perçu comme plus rentable à court terme. À cela s’ajoute l’accessibilité financière des motos « made in China » et autres engins asiatiques, devenus les montures privilégiées de cette reconversion.
Un poids économique non négligeable
Les Zémidjans ne sont plus de simples figures folkloriques de la mobilité urbaine. Ils constituent aujourd’hui un maillon essentiel de l’économie béninoise. On estime à plus d’un million le nombre de personnes qui vivent directement de cette activité, tandis que plus de deux millions d’usagers en dépendent quotidiennement pour se déplacer. Ce flux constant génère des revenus importants pour les collectivités locales, à travers taxes et redevances diverses, même si des statistiques précises font encore défaut.
Une double perte pour le pays
Si le métier de zem offre une réponse immédiate à la précarité, il constitue en parallèle une hémorragie silencieuse pour l’artisanat. La fuite des compétences, l’abandon des savoir-faire et la perte de vocation affaiblissent ce pilier traditionnel du développement local. Ce basculement massif interroge : comment redonner à l’artisanat ses lettres de noblesse ? Quelle politique publique pour réconcilier les jeunes avec leurs métiers d’origine ?
À la croisée des chemins, le Bénin devra choisir entre laisser faire le hasard des reconversions ou repenser sérieusement l’avenir d’un secteur longtemps négligé mais ô combien stratégique.
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